Dorian Canton « Aujourd’hui, j’ai plus de facilité à ouvrir largement mon éventail d’encastes »

À 24 ans, Dorian Canton vient déjà de clôturer sa septième temporada dans l’escalafón. Sacré matador de toros en 2019, à peine majeur, le torero béarnais avait confirmé tout son potentiel une fois la période Covid passée.

Après deux blessures, l’une au poignet, l’autre au visage, la carrière de Dorian Canton a connu un ralentissement, avec une temporada 2025 très maigre où il n’a effectué que deux paseos : à Riscle, puis à Bayonne où il a estoqué un toro d’Arauz de Robles lors de la corrida de l’Opportunité à six toreros.

L’occasion pour Mundillo Taurino de dresser un premier bilan de la carrière du jeune matador, qui revient avec nous sur son parcours mais aussi sur son quotidien, les exigences de l’entraînement, du toreo de salon aux difficultés d’accéder au campo, où le bétail se fait rare.

Un entretien authentique et sincère, qui permet de (re)découvrir un torero qui a encore beaucoup à dire… en piste comme en dehors.

Bonjour Dorian. Tout d’abord, comment un jeune garçon d’Asson devient aficionado d’abord, puis torero ensuite ?

Hasard complet ! Ma mère est originaire de Riscle, mon père du Béarn, et un jour, j’avais 7 ans, on est parti à un repas de famille à Aire-sur-l’Adour. On est arrivé trop tôt, on s’est ennuyé et il y avait une novillada sans picadors le matin. Pour combler le temps, nous sommes allés aux arènes, mon père, mon oncle et moi.

La première chose qui m’a marqué, c’est la différence entre les blondes d’Aquitaine de la ferme, qui ne chargeaient pas, et ces toros qui, eux, fonçaient sur les hommes en piste. Le spectacle m’a immédiatement attiré et j’avais mille questions.

J’ai regardé des reportages, des films, puis mon père m’a ramené aux arènes. À Béziers, lors d’une corrida, une Miura en plus, mon afición est vraiment née. Il y avait un côté mystique qui m’a frappé : ce jour-là, je me suis dit que quelqu’un allait mourir.

Tu as grandi dans un milieu agricole, c’est bien ça ?

Mon père a une ferme de blondes d’Aquitaine. J’ai toujours été habitué à être au contact du bétail, et c’est précisément la question de : « Pourquoi, lorsque je vois un veau dans notre élevage, il ne charge pas, il est docile, on peut le caresser, et pourquoi un veau de toro de combat charge ? »

Dorian Canton à Dax lors du concours de novillada sans picadors en 2017

À quel moment as-tu voulu t’inscrire à l’école taurine de Richard Milian ?

Je ne m’en souviens pas vraiment. Ça a été plus fort que moi. Je voulais essayer, il fallait que je me mette devant cet animal qui me fascinait tant. Je me suis dit que je voulais être torero et que je voulais toréer dans les plus grandes arènes du monde. Le pourquoi du comment reste un sentiment bizarre que je ne saurais expliquer. J’arrive à l’école taurine un peu avant mes 10 ans.

Comment se passent tes premières années ?

Les premiers mois ont été consacrés uniquement à l’entraînement. À l’occasion d’une fête qu’avait organisée Richard Milian, j’ai pu sortir devant un veau. Au début de l’année suivante, j’ai commencé réellement à toréer devant des veaux.

Après le parcours classique, il y a eu beaucoup de vaches, de becerros, beaucoup de capeas. Tout ça pour se forger et arriver en novillada sans picadors.

Dorian Canton à Garlin lors de la novillada piquée du mois de Juillet 2018

Ton parcours en tant que novillero a été très rapide. Avec le recul, comment analyses-tu cela ?

Oui, je prends l’alternative à 18 ans. Le passage de sans picadors à piquée s’est fait au bon moment : j’avais beaucoup toréé, j’étais allé en Espagne et je me sentais prêt. C’est vrai que tout a été très rapide, peut-être trop avec le recul, mais c’était nécessaire pour moi.

Au moment de l’alternative, les choses commençaient à se débloquer en Espagne en vue des Férias de novilladas, avec des propositions importantes. J’avais aussi la possibilité de prendre l’alternative avec plusieurs opportunités et choix d’arènes. Je voulais vraiment la prendre à Bayonne, un symbole pour moi et plus simple pour ma famille et mes amis. C’est allé vite, mais je ne le regrette pas.

Mont-de-Marsan me donne une belle opportunité, mais j’espérais davantage.

Tu prends finalement l’alternative à Villeneuve-de-Marsan en 2019. Comment vis-tu ces premières années de matador ?

Très bien. L’alternative prévue à Bayonne est annulée, je la prends donc à Villeneuve, puis je torée finalement à Bayonne en septembre la corrida des six toreros. Le Covid coupe tout, mais en 2021 je triomphe à Aire-sur-l’Adour avec deux oreilles d’un Valdefresno. Cela m’ouvre les portes d’une excellente temporada 2022, la meilleure de ma carrière, avec 6 corridas et 9 oreilles, où je sors presque toujours en triomphe.

Alternative de Dorian Canton à Villeneuve de Marsan des mains de Ruben Pinar et en présence de Thomas Dufau

En 2023, tu récoltes les fruits de ces succès ?

Pas entièrement. Mont-de-Marsan me donne une belle opportunité, mais j’espérais davantage. Je passe de 6 corridas à 7 annoncées, mais seulement 4 toréées à cause d’une blessure. À part Mont-de-Marsan, aucune nouvelle grande arène ne s’ouvre. Je me blesse au campo et perds trois contrats. J’ai malgré tout une très bonne après-midi à Mont-de-Marsan, où je coupe une oreille importante à un toro d’El Pilar.

Dorian Canton à Mont de Marsan lors de la corrida de El Pilar en 2023

En 2024, Mont-de-Marsan te reprogramme, mais pas Bayonne…

Oui. Je retrouve globalement le même circuit, avec Mont-de-Marsan qui me fait confiance dans un gros cartel. L’année reste difficile : moins de chance au sorteo, un coup de corne à Aire-sur-l’Adour… C’est une saison frustrante, même si elle se termine bien à Eauze où je coupe deux oreilles à des Pagés Mailhan.

Si tu n’es pas bon en feria, c’est très compliqué de rentrer à nouveau.

Et cette année, le nombre de corridas diminue aussi avec une corrida et demi. Comment cela s’explique ? As-tu refusé des contrats ?

Non, non, je n’ai rien refusé du tout. L’hiver permet d’entrer en contact avec toutes les arènes. Ce qui est compliqué, c’est qu’en début de carrière, tu n’as pas beaucoup de bagage technique, tu dois faire attention à où te présenter et avec quel élevage. Si tu n’es pas bon en feria, c’est très compliqué de rentrer à nouveau.

C’est difficile d’accepter tous les élevages car tu n’es tout simplement pas prêt à les affronter. Aujourd’hui, j’aurais plus de facilité à ouvrir largement mon éventail. Mais je n’ai refusé aucune corrida : c’est comme ça, je torée seulement à Riscle et un toro à Bayonne cette année.

Belle naturelle de Dorian Canton lors de la corrida de l’opportunité à Bayonne 2025

Quelle analyse fais-tu de ces deux corridas ?

À Riscle, malheureusement le toro de La Suerte n’a pas fonctionné. J’ai dû prendre l’épée très rapidement car le toro était arrêté. J’ai pu sortir quelques bons moments face à mon premier de Cuillé.

À Bayonne, je me suis vraiment senti bien. À la cape, j’ai pu exprimer le meilleur de mon toreo. La faena commence très fort avec trois très bonnes séries à droite. Je sens que les gens réagissent, mais le toro s’arrête et part aux planches. Je dois prendre l’épée et je me loupe, ce qui m’enlève peut-être une oreille. C’est frustrant car il y a eu de bonnes choses, et j’avais besoin qu’il se passe quelque chose.

Cela fait 5 ans que je m’entraîne à Madrid et je me suis imprégné du style madrilène

Comment te définis-tu comme torero aujourd’hui ?

Je pense que j’ai un toreo très classique, plutôt vertical. Je n’ai pas l’habitude de laisser l’avantage au toro, ce qui peut parfois me desservir car j’ai tendance à trop peser. Je cherche vraiment à toréer vertical, à me faire passer les toros près de moi, et ce qu’on appelle « se les mettre derrière » : se croiser, passer le piton et l’emmener le plus loin possible derrière.

Cela fait 5 ans que je m’entraîne à Madrid et je me suis imprégné du style madrilène. Ça a été très facile pour moi car c’est toujours ce que j’ai eu en tête.

Dorian Canton lors de la corrida de Mont de Marsan en 2024

Qu’analyses-tu en premier lorsqu’un toro sort du toril ?

Je regarde comment le toro est fait, sa morphologie. Pas forcément les cornes, car je n’ai jamais vraiment toréé de petite corrida. J’ai l’habitude que les toros soient forts. Mais c’est surtout comment il est fait, s’il a du cou, et s’il sort avec de la franchise, s’il va jusqu’aux planches. Ce qu’il ne faut pas, c’est que le toro s’arrête et qu’il se mette à réfléchir.

Sur les premiers capotazos, c’est là où tu as vraiment une idée de comment peut réagir le toro. Tu peux juger comment il va être sur la corne droite et la corne gauche.

Cela permet d’affiner ta lidia pour la suite ?

Oui complètement. Il faut quand même rester fidèle à ton toreo, mais cela permet d’évaluer la force du toro. Après la première pique, on donne quelques capotazos pour juger s’il est nécessaire ou non de l’y remettre, plus loin, ou sur la gauche. Cela me donne tout un tas d’informations déterminantes.

Aignan 2023

Qui t’accompagne dans ta carrière ? Que ce soit au niveau de l’apoderamiento mais aussi des entraînements ?

Pour l’apoderamiento, c’est Olivier Mageste qui gère ma carrière depuis mon alternative (2019). Côté toreo, je me suis toujours entraîné avec Agustín Serrano, un banderillero de Madrid. Il était dans ma cuadrilla donc on s’est beaucoup entraîné ensemble.

Après, ça varie beaucoup : quand je viens à Mont-de-Marsan, on s’entraîne avec Mathieu Guillon ; dans le Sud-Est, avec plusieurs toreros.

Comment s’organise ta vie ?

J’habite depuis 5 ans entre Madrid et la France. Je fais l’hiver ici, et le reste de la saison je suis à Madrid.
Cette année, j’ai beaucoup été à Nîmes car il y a toujours beaucoup de monde pour s’entraîner.

À Madrid, je m’entraîne au Batán. Vu que ça fait 5 ans que j’y vais, on fait des rencontres. On peut très bien s’y entraîner avec des gens qu’on ne connaît pas. Cela te permet de t’entraîner avec beaucoup de monde différent.

Eauze 2022

J’ai la chance de pouvoir m’entraîner avec le maestro Uceda Leal

Comment vois-tu la différence entre l’entraînement en France et à Madrid, dans un lieu emblématique comme le Batán ?

Sincèrement, il n’y a pas tant de différences que ça sur l’aspect entraînement. Madrid, c’est très grand mais tout le monde vient s’entraîner au même endroit. Dans la ville, tu ne croises jamais aucun torero.
En France, si tu veux un endroit où tu es sûr de trouver du monde pour t’entraîner, il faut aller dans le Sud-Est, à Caissargues.

Dans le Sud-Ouest, c’est plus compliqué car on est très peu de matadors de toros. Tu es obligé de t’organiser. Si j’arrive sans prévenir, je serai seul aux arènes.

L’avantage de Madrid et du Sud-Est, c’est que tu arrives le matin, tout le monde se rejoint au même endroit. Tu sais que tu vas trouver quelqu’un. Et au Batán, il y a l’école taurine, donc toujours des jeunes prêts à s’entraîner. C’est vraiment la grande différence.

Et pour progresser dans ton toreo, qu’est-ce que tu peux mettre en place ?

Tu répètes beaucoup les mouvements, tous les jours, plusieurs fois par jour. Quand tu en as l’opportunité, à Madrid, tu t’ouvres, tu rencontres des gens.

J’ai la chance de pouvoir m’entraîner avec le maestro Uceda Leal : c’est un torero madrilène, très pur, très vertical, ce à quoi j’aspire. Tu essaies de prendre un petit peu de chacun pour construire ton propre toreo. Tu prends ce que tu veux, et tu laisses le reste.

Les figuras arrivent à tienter au moins 200 vaches dans l’hiver et 60 ou 70 toros.

Dorian Canton lors de la corrida blanche à Bayonne 2023

Cela te donne-t-il des opportunités au campo ?

À Madrid ? Très compliqué. J’ai plus de facilité en Andalousie et autour de Salamanque, mais surtout en France. J’arrive quand même à faire quelques tentaderos en Espagne dans l’année, mais au maximum à Salamanque et autour de Séville grâce à des contacts proches.

C’est compliqué car c’est hyper important. Le plus dur est d’avoir des toros. Il y en a de moins en moins alors que c’est ce qu’il y a de plus important pour nous, toreros. Pour les vaches, une grosse année de tentaderos, si je peux en voir 50, c’est déjà très bien.

Comparé à un torero espagnol ?

C’est largement plus ! Certains, c’est impressionnant : ils ne s’arrêtent jamais. Les figuras, notamment, qui arrivent à tienter au moins 200 vaches dans l’hiver et 60 ou 70 toros. Moi, si je peux faire 10 toros dans l’hiver, c’est déjà énorme.

Dorian Canton, Alternative 2019, Villeneuve de Marsan

Pour 2025, quelles sont les options pour toi ?

Je vais certainement démarrer la saison assez tôt. Ce qui est sûr, c’est que je pourrai toréer un toro à Arzacq en matinée lors de leur journée taurine. Ce n’est pas facile, on est tous dans la même situation, mais j’espère surtout que la temporada sera plus chargée, avec au moins 5 corridas cette année.

Cette première corrida sera-t-elle déterminante ou tous les cartels seront déjà bouclés pour l’année ?

Je pense que les trois quarts des cartels seront bouclés, mais ce sera une année spéciale avec les élections municipales, ce qui retardera peut-être certaines prises de décision dans les cartels. Mais quoi qu’il arrive, la corrida sera déterminante pour le futur de ma carrière, que ce soit pour 2026 ou 2027.

Comment vis-tu la concurrence avec les autres toreros ? Qu’est-ce qui peut faire la différence ?

Concrétiser les opportunités qui me seront offertes, tout simplement. Avoir un peu de chance aussi : il faut que les toros puissent t’aider un peu pour t’exprimer. Mais tout commence par les opportunités.

Propos recueillis par Jean Dos Santos en Novembre 2025