Juan Molas : “La chose la plus importante devant le toro est d’être différent”

 En ce début de Temporada 2019, nous sommes allés questionner Juan Molas, novillero vainqueur de la Fragua 2016 ayant débuté en piquée l’année dernière dans les arènes de Dax. Il nous parle de sa saison à venir…

Mundillo Taurino : Bonjour Jean-Baptiste, avant toute chose, pourrais-tu rapidement te présenter et nous expliquer pourquoi tu as choisi d’embrasser la carrière de torero ?

Juan Molas : Bonjour, je m’appelle Jean-Baptiste Molas, j’ai 24 ans et je suis novillero piqué. Je suis originaire de Dax et la tauromachie est un peu une histoire de famille. Mon grand-père était directeur de la commission taurine de Dax pendant longtemps et mon père a ensuite tenté une carrière de torero à une époque où le contexte était difficile pour les toreros français. J’ai toujours baigné dans la culture taurine mais c’est quelque chose qui s’est révélé à moi le jour où j’ai toréé pour la première fois. Chez Sepulveda à Salamanque, j’avais accompagné mon père et André Viard m’a proposé de prendre la muleta. Cela a été une révélation et je n’en ai pas dormi de la nuit. J’ai de suite pris la chose au sérieux. Mon père m’a mis en garde sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un jeu.

MT : Peux-tu nous parler de ton parcours de novillero sans picadors ?

JM : J’ai été novillero sans picadors de 2012 à 2016. Mon parcours est un peu particulier car je n’ai jamais fait parti d’écoles taurines. J’ai toujours vu l’école taurine comme une structure privilégiant la technique à la personnalité. J’ai toujours voulu faire passer l’émotion au premier plan en me disant que la technique viendrait au fur et à mesure. La chose la plus importante devant le toro est d’être différent. Être le copier-coller d’un autre torero n’est pas quelque chose qui mène sur la bonne voie à long terme. Mais à court terme l’école taurine offre plus de possibilités. Avec ce
parcours autodidacte, je me suis gagné mais aussi perdu les contrats au fur et à mesure. Un contrat en amène un autre et j’ai donc eu un parcours assez long en sans picador.

MT : Que s’est-il passé entre 2016 et 2018, année de tes débuts en piquées

JM : Après 2016, mon but était de débuter en piquée car au bout d’un moment on ne s’épanouit plus vraiment en sans picador. Il faut trouver l’arène qui vous permet de débuter. En 2017, je n’ai pas trouvé cette arène et cela a été une année difficile où j’ai continué à m’entraîner dans l’ombre en privé en attente de cette opportunité. Quand on ne vous voit pas on pense que vous avez arrêté et c’est un cercle vicieux. J’ai fait un paseo en 2017 dans le cadre d’un festival à Gamarde où j’ai coupé deux oreilles. Les gens ont été surpris et ont vu que j’existais encore et j’ai pu débuter en piquée l’année suivante.

MT : Tes débuts en novillada piquée à Dax dans ta ville d’origine ont dû être particulier ?

JM : Des débuts en piquées sont toujours particuliers car c’est un saut dans l’inconnu avec des toros différents, qui ont plus de volume. J’avais eu l’occasion de beaucoup toréer des toros plus âgés en privé. On m’avait dit que je serais plus épanoui avec des toros plus âgés, qui ont plus de volume et qui viennent plus lentement : c’est une tauromachie qui je pense me correspond plus. Mais la préparation a été assez classique : j’ai eu une année entière pour me préparer. Je suis arrivé moralement et mentalement prêt. Étrangement c’est la fois où je suis arrivé aux arènes le plus décontracté et cela s’est bien passé avec une oreille qui aurait pu être plus si j’avais mieux tué mon premier. C’est quelque chose qui m’a porté préjudice. Le premier toro était noble et plutôt faible, ce qui m’a permis de m’exprimer avant un deuxième fort, très encasté et brave qui m’a mis à l’épreuve et qui est surement le toro qui m’a fait le plus de bien car j’ai vu j’étais capable de toréer ce type de toros.

MT : Tu es ensuite sorti à hombros à Rion en septembre 2018…

JM : C’était un mano à mano avec Tibo Garcia dans le cadre d’une novillada mixte. J’ai coupé une oreille sur chacun des toros de Jean-Louis Darré.

MT : Pour l’instant, tu es annoncé au cartel de la novillada du 20 juillet à Mont-de- Marsan. Comment s’annonce ta saison 2019 ?

JM : La bonne nouvelle est ma présence à Mont de Marsan pour cette novillada nocturne avec 6 toros et 6 novilleros français. Je tiens à remercier l’organisation montoise qui m’a fait confiance après Dax et Rion. Officiellement à ce jour, j’ai cette novillada là qui est mon ‘’unique cartouche’’ et pour laquelle je m’entraîne avec beaucoup de rigueur. J’attends certaines confirmations en France et en Espagne mais tant que les contrats ne sont pas signés je préfère rester prudent.

MT : Malgré tes deux succès en 2018, tu torées peu. Comment l’expliques-tu ?

JM : Malgré ces deux succès qui m’ont permis de passer l’hiver au chaud
moralement, on ne m’a pas donné d’opportunités. Je pensais sincèrement attaquer la saison avec au moins deux ou trois contrats dans des arènes du Sud-Ouest que j’ai contacté. Les réponses ont été négatives. J’ai vu les cartels sortir sans y être annoncé. Cela n’entache pas mon moral pour Mont-de-Marsan qui m’a fait confiance. Je compte sur cette novillada pour prouver aux autres arènes qu’elles ont eu tort. Sur le pourquoi je laisserai la réponse aux organisateurs qui ont surement des raisons. Je ne suis pas le seul novillero français et je ne me prends pas pour une victime non plus. Je pense en toute modestie que j’aurai mérité un ou deux contrats en début de saison pour montrer que ces deux succès étaient le fruit de mon travail et pas du hasard.

MT : Plus jeune, tu es aussi parti vivre en Espagne plusieurs années ?

JM : Je suis parti en Andalousie 2 ans et demi et cela a été une deuxième révélation. C’est là que j’ai découvert ce qu’est réellement vouloir être torero en côtoyant toutes sortes de professionnels : des figuras ou des toreros de second plan, des éleveurs, banderilleros, etc. J’ai appris la rigueur et le sens du sacrifice là-bas. C’est quelque chose dont je n’avais pas conscience ici dans le cocon familial où on ne voit que les bons côtés de la tauromachie. C’était une période très dure car j’étais jeune et j’ai vécu tout seul là-bas. C’est la chose qui m’a fait le plus de bien et je suis revenu en Andalousie pour ma dernière saison en sans picador.

MT : As-tu eu des opportunités de toréer en Espagne en vivant là-bas ?

JM : J’ai eu beaucoup d’opportunités de toréer en privé grâce à la quantité
d’élevages présents en Andalousie. Lors des tentaderos, on est souvent invité à toréer derrière des maestros qui ne sont pas avares de conseils. J’ai toréé 4 ou 5 novilladas en Espagne. Mais le but était de passer en novillada piquée. Le marché en Espagne est compliqué pas seulement parce qu’on est français mais aussi parce que le système veut que sur pas mal de novilladas il faut payer pour toréer. Je ne suis pas prêt à faire cela déjà parce que je ne peux pas me le permettre mais ce n’est pas non plus dans l’éthique que j’ai de la tauromachie. J’espère que cela se concrétisera cette année.

MT : Quel est ton quotidien : qui t’entoure et possèdes-tu des activités à côté ?

JM : Je consacre tout mon temps et mon énergie à devenir torero. Il faut bien vivre aussi et financer tout cela (matériel, trajets, etc) donc j’essaye toujours de travailler et mettre de l’argent de côté en hiver. J’ai aussi bien-sûr ma peña qui m’aide beaucoup. Mon père est la personne qui a toujours été présente à mes côtés et l’est encore. Nous attendons tous les deux la même chose comme tous les toreros : un apoderado qui se proposerait de m’aider. Cela viendra uniquement en toréant. Certains disent que nous préférons faire notre route entre père et fils mais ce n’est pas uniquement par choix : si je n’ai plus mon père aujourd’hui dans le milieu des toros je n’ai plus personne. C’est plus un soutien moral qu’un apoderado car un père ne peut pas tenir ce rôle là. Si un jour l’occasion se présente nous sauterons évidemment dessus.

MT : Serais-tu prêt à combattre des élevages réputés plus durs qui permettent souvent moins à des toreros dits ‘’artistes’’ de s’exprimer.

JM : Il faut toréer toute sorte d’encaste. Les figuras de l’époque le faisait plus que celles d’aujourd’hui : c’est un choix. Cela ne veut pas dire qu’un toro de Domecq est plus facile ou moins dangereux car il vous tuera de la même manière s’il vous attrape. C’est simplement que sur le papier certains élevages ont plus de garanties d’offrir des embestidas plus franches. J’y suis prêt et j’en ai envie. Mais pour toréer certaines sortes d’encaste, il faut avoir un bagage technique suffisamment solide. Je pense que cela serait idiot de ma part après deux novilladas piquées de m’enfermer avec une novillada réputée très compliquée. Cela serait irrespectueux vis-à-vis des gens, du toro et de moi-même. C’est au fur et à mesure des contrats qu’il faut diversifier les encastes. Je veux d’abord toréer un peu plus.

MT : Quelle est ton ambition pour le futur ?

JM : Me gagner les contrats comme je l’ai toujours fait, les uns après les autres. Tout ce que j’ai, je me le dois et ce que je n’ai pas je me le dois aussi. Je n’ai pas eu de traitement de faveur et je n’en veux pas. Mais lorsque triomphe il y a que récompense il y ait aussi me semble logique sinon on ne laisse pas une belle morale à tout cela. A quoi bon triompher sinon ?

Entretien réalisé par Paul Ribat